- Comment est né Lightmare Studio ?
Lightmare est né d'une même envie
de créer des jeux vidéo en étant au contact des joueurs, et en conservant notre
indépendance dans la création. Nous nous connaissions tous à l'origine, et
petit à petit, à force de discussion, le projet s'est mis en place. Nous avons
commencé par voir si nous pouvions travailler ensemble, si l'aventure était
réalisable, et lorsque nous en avons acquis la conviction, nous avons foncé.
- Pouvez-vous nous en dire plus sur
votre jeu ?
Il s'agit d'un tower defense en
apparence classique, avec des chemins préétablis que des Martiens vont
parcourir en tentant de venir
voler vos vaches. Il faut poser des tours de défense tout le long de ces
sentiers pour les éliminer. Le jeu trouve son originalité dans le fait qu'il
tient beaucoup du genre "time management", lequel impose au joueur
d'être tout le temps sur le qui-vive, réactif, et souvent rapide dans ses
actions. Passé le tutorial, il devient impossible de contempler la bataille sans
rien faire ; grâce au "Zapper" (un
pistolet laser que le joueur reçoit assez tôt dans le jeu), il est possible
(voire vital) de tirer sur les Martiens pour aider à leur élimination, ou
simplement pour interagir avec eux. A titre d'exemple, le Martien Incognito passe
inaperçu aux yeux des tours jusqu'à ce qu'on tir de Zapper fasse sauter sa
couverture, et le Savant Fou génère des bulles d'énergie qui rendent les
Martiens invulnérables, mais qui disparaissent au moindre coup de Zapper.
Il est amusant de noter qu'au sein de
l'équipe, deux d'entre nous sont des fans hardcore de tower defense et les deux
autres sont plus modérés, ce qui a donné lieu à de nombreux débats à la
recherche d'idées qui conviendraient à tout le monde. Nous
pensons avoir trouvé un équilibre intéressant entre accessibilité et profondeur, car aucun des deux "camps" ne voulait transiger sur ses
attentes et nous sommes finalement tous assez satisfaits du résultat.
- Beware Planet Earth est le
premier jeu du studio, est-ce également votre première expérience en
termes de développement ?
Au moment où nous avons commencé à créer
"Beware Planet Earth!", nous avions chacun entre 4 et 6 ans
d'expérience dans l'industrie du jeu vidéo, dont une grande partie acquise à
Asobo Studio. Ce jeu est donc loin d'être notre première expérience, même si
nous ne sommes pas ce qu'on peut appeler des vétérans. En revanche, si nous
avions tous travaillé sur des projets de budget et de nature diverses, qu'il s'agît
de jeux à licence destinés à un jeune public
comme les jeux Pixar, des jeux gamers comme FUEL™ développé avec Codemasters, ou encore destinés à un public familial comme
Racket Sports, aucun de nous n'avait mené à son terme un jeu 2D de cette
envergure et permettant autant de liberté créative.
La plupart d'entre nous avaient également l'expérience de quelques projets
menés "en amateur", à côté du boulot.
- On peut voir que votre jeu est bourré
de références, doit-on s’attendre à de grosses surprises ?
Nous adorons disséminer plein de petites
références et d'"Easter eggs" par-ci par-là ! Ceci dit, nous avons du
mal à dire si vous pouvez vous attendre ou non à de grosses surprises. Nous
avons parcouru le jeu des centaines de fois durant son développement, donc il
est difficile de savoir ce qui surprendrait un joueur qui ne le connaît pas
encore ! Généralement nous aimons bien poser des
clins d'oeil subtils, pour faire sourire les gens qui ont un bon sens de
l'observation :p
- Le design est très travaillé, est-ce
là la signature du studio pour les prochains jeux ?
Depuis le début du développement et bien
avant la création de la boîte, le principe principal sur lequel nous nous
sommes tous mis d'accord était de faire des jeux de la plus grande qualité possible,
quel que soit le travail et l'investissement que cela nécessite. Bien sûr, il
est théoriquement évident qu'un développeur doive toujours produire de la
qualité, mais nous avons vraiment essayé, et ce dans chaque branche -
programmation, graphisme, animation, level design, game design - de faire de
notre mieux, et même au-delà de notre mieux. Nous
aimons profondément ce que nous faisons, même si cela impose certains
sacrifices, et nous espérons que cela transparaît dans le jeu. Notre but est
autant de créer des jeux accessibles qui amuseront nos joueurs, que de réaliser
des projets qui nous forcent à nous dépasser et nous rendent fiers de notre
propre travail !
- Votre jeu est disponible sur PC,
avez-vous déjà en tête d’autres déclinaisons ?
Bien sûr ! En fait, nous avions d'autres
déclinaisons en tête dès que nous avons commencé à penser "Beware Planet Earth!", et son
design est d'ailleurs prévu pour être adapté sur d'autres plates-formes. Cependant, entre un désir et la réalisations se tiennent bon nombre
d'obstacles, les deux plus imposants étant le budget et le temps. Il n'est donc
pas impossible que vous voyiez des Martiens envahir d'autres plates-formes, notamment les tablettes, à propos desquelles nous recevons beaucoup de commentaires, mais ces
décisions ne se prennent pas à la légère et sont en grande partie soumises au
succès que rencontrera le jeu sur PC dans les mois à venir.
- Le monde du jeu vidéo indépendant est
un milieu difficile. Que recommanderiez-vous aux nouveaux créateurs qui
voudraient se lancer dans la profession ?
C'est une question très vaste ! Tout
d'abord, il nous semble important de rappeler la loi de Hofstadter : "Il
faut toujours plus de temps que prévu, même en tenant compte de la Loi de
Hofstadter." Ce n'est vraiment pas un avertissement à prendre à la légère
! Nous avons fait le choix de partir de zéro et de créer notre propre moteur,
et de nombreuses tâches que nous avons été obligés d'accomplir étaient des
nouveautés pour nous. Même en comptant large, nous avons sous-estimé plus d'une
fois le temps de travail nécessaire à la réalisation de telle ou telle tâche,
et ce malgré l'expérience que nous avions acquise dans l'industrie.
Ensuite, quand on est passionné et qu'on aime ce qu'on fait, on a toujours
tendance à vouloir à faire toujours mieux, ou en mettre toujours un peu plus.
Il faut savoir s'arrêter à un moment, même si ça fend le cœur. Cela étant
dit... un autre conseil serait "si ça vous fait marrer ; mettez-le dans le
jeu !". A titre d'exemple, les boss ont été rajoutés très très tard dans
le développement de "Beware Planet Earth!". Nous avions alors convenu
d'en faire un simple Martien mais qui serait plus gros et plus costaud, sans
code ni animations spectaculaires. Finalement, nous sommes allés beaucoup plus
loin. C'était un peu osé de notre part à ce moment du projet, mais ça
n'engageait que nous, et le résultat est largement à la hauteur, alors nous
sommes ravis de l'avoir fait. Il est important de préciser que notre philosophie de design repose en grande
partie sur le principe qu'il ne faut rien ajouter au jeu qui ne le rende pas
meilleur, et qu'il faut donc limiter l'apport de contenu pour faire primer la
qualité sur la quantité.
Enfin, et pour conclure cette réponse déjà longue, nous terminons sur un point
un peu moins drôle. D'abord, ne sous-estimez surtout pas la paperasse
administrative, ni le temps que va prendre le travail de "gestion de
boîte". C'est gigantesque, c'est vraiment un métier ! Ensuite, avant de
vous lancer, considérez sans complaisance la faisabilité du projet et surtout
son potentiel commercial, et considérez bien que vous allez probablement dire
adieu à votre stabilité financière, vos week-ends, une partie de votre vie
sociale et que vous bosserez plus de 70h par semaine ! C'est un vrai
investissement, tant financier qu'humain, qui ne devrait pas être pris à la
légère.
- Comment voyez-vous l'avenir du jeu
vidéo indépendant ?
Tout d'abord, si on observe le passé
récent du jeu indépendant, on note une
progression fulgurante tant en terme de reconnaissance publique (avec le succès
commercial qui va souvent, mais pas toujours, avec) que de reconnaissance
critique. La plupart d'entre nous le suivent depuis les
balbutiements de la vente dématérialisée, au début des années 2000, et le
marché a grandement changé de visage depuis qu'il est devenu populaire ! Nous pensons - et espérons - qu'il va
continuer à mûrir en touchant de plus en plus de monde sur de plus en plus de
plate-formes. Quant à ce qu'il deviendra plus précisément, nous laissons cela
aux analystes et aux voyantes :D
Cependant nous sommes ravis de voir que même après quelques années, la liberté
créative, la qualité et l'originalité soient toujours les pierres angulaires
des productions indépendantes, et qu'une part aussi importante soit laissée à
l'expression. Nous espérons que cela continuera et que le milieu conservera ce
rôle de formidable vivier à nouvelles idées.
- Votre jeu est disponible en
téléchargement légal, y voyez-vous, dans le dématérialisé, l’avenir du jeu
vidéo ?
Il est difficile de dire si le
téléchargement légal représente l'avenir du jeu vidéo en général, mais ce qui
est certain, c'est
qu'il a largement contribué à l'émergence et au développement du jeu
indépendant, qui n'aurait pu que difficilement
survivre dans le système industriel classique (The Behemoth a montré que
c'était possible avec Alien Hominid, mais leur réussite reste un cas
exceptionnel si on le compare à ce que permet aujourd'hui la vente dématérialisée).
Il est ainsi plus que vraisemblable que le
jeu vidéo indépendant et la vente dématérialisée continuent d'entretenir
longtemps cette relation symbiotique.
Pour ce qui est du jeu vidéo en général, en revanche, il paraît évident que le dématérialisé a ouvert une grande porte
qui ne se refermera sans doute jamais. Entre la présence croissante de
l'internet dans la vie courante, l'émergence de nouvelles plates-formes de jeu
nomade comme les smartphones ou les tablettes dont les apps s'achètent
uniquement en dématérialisé, le marché numérique pèse lourd et il arrange une
bonne partie de la chaîne de création, avec une répartition des bénéfices
souvent plus avantageuse pour l'éditeur et le développeur que dans la chaîne de
distribution traditionnelle.
De là à dire qu'il faut y voir l'unique avenir du jeu vidéo, il y a un pas que
nous ne franchirons pas, parce que l'avenir est incertain et qu'il est peu
probable ou même souhaitable que la distribution physique disparaisse à terme.
Il semble acquis, cependant, que ce
mode de distribution a engendré un nouvel écosystème fougueux qui sort des
sentiers battus, et qu'à cet égard, il représente une partie non négligeable de
l'avenir du jeu vidéo.
- Avez-vous déjà d’autres projets sur
lesquels vous travaillez ? (DLC, autres jeux, etc)
Actuellement nous soufflons un peu pour
fêter la fin de "Beware Planet Earth!", ce qui ne signifie pas que
nous restons les bras croisés ; nous corrigeons les quelques bugs qui nous
reviennent et que nous avons bien malgré nous laissé passer au travers des
mailles du filet, nous nous assurons donc que les joueurs soient satisfaits que
le jeu soit bien accompagné dans ses premiers pas. Nous
comptons également apporter aux joueurs du contenu supplémentaire sous la forme
de DLC gratuits, ce qui est, pour faire écho à la
question sur le dématérialisé, un des avantages inhérents à ce système de
distribution.
Et bien sûr nos têtes fourmillent déjà d'idées de jeux que nous souhaiterions
créer après "Beware Planet Earth!", et nous
avons plusieurs pistes.
- Et vous, à quoi vous jouez ?
Cette question appelle forcément des
réponses personnelles
Gwen : en ce moment, beaucoup à Wakfu ! :)
Quittouff : en ce moment je joue à tout ce à quoi j'ai pas pu jouer pendant le
dev de BPE, donc je joue à beaucoup de choses à la fois : Torchlight, L.A.
Noire, Anno 1404, Sim City 4, Eve Online, j'ai aussi récemment joué à l'indie
Bundle V (Limbo, Bastion, Braid, Amnesia...), et on se tape gentiment la bourre
sur Orc Must Die! avec Fabrice aussi. :)
Fab : j'apprécie beaucoup Wakfu. Sinon je joue à des towers defense de-ci
de-là, dont Orc Must Die, avec Quittouff. J'ai également découvert Sword of the
Stars, et je sautille de temps à autre entre Flatout Ultimate Carnage, Knights
of the Old Republic, Mount & Blade, Avadon the black Fortress, Dawn of War
2, ou des petites choses qu'on peut trouver sur Armor Games et Kongragate...
Pour les attentes, je suis surtout la sortie de Torchlight 2. J'ai vraiment
hâte de voir ce que ça va donner !
Fough : en général, je joue à de nombreux jeux en même temps sans tous les
finir, et aussi bien sur PC que sur consoles, mais surtout aux productions
indépendantes comme Cave Story, Blocks That Matter, Escape Goat, Minecraft ou
encore Journey. J'aime bien aussi m'éloigner des productions "gamer"
pour m'inspirer des productions purement casual, comme Diner Dash, Bejeweled ou
encore l'excellent Pontifex. Au final, je reste cependant un fan inconditionnel
des productions Nintendo, très accessibles et fun, ainsi que des vieux jeux
d'arcade, avec un gameplay viscéral, des graphs roots et une difficulté qui
frise l'impossible.
En ce moment, je joue surtout à L.A. Noire, Bastion, Torchlight et Noitu Love
2. Je rattrape un peu mon retard !
- Nous voilà à la fin de
l’interview, merci beaucoup d’avoir répondu à ces questions. Avez-vous quelque
chose à rajouter ?
Nous sommes vraiment ravis de pouvoir
partager notre expérience, et notre plaisir à créer des jeux vidéo...
alors merci pour cette interview !